Depuis que je m’intéresse au sujet de la mixité des métiers, je constate que les discours pour promouvoir cette mixité naviguent entre l’injonction à l’audace faites aux filles (« osez ! ») et le renforcement des stéréotypes (c’est très souvent les filles qu’on invite à investir les bastions masculins tandis que jamais ou presque les garçons ne sont invités à explorer les métiers à prédominance féminine).
Et même si je suis profondément convaincu de la nécessité de parler de mixité, de la promouvoir, je butte parfois sur la réalité et sur la difficulté à trouver les bons arguments. Parce que par exemple, si on n’encourage pas les garçons à aller vers les métiers du soin c’est peut être parce qu’on est toutes et tous conscient·es que ce sont des métiers qui sont peu valorisés dans notre société malgré leur contribution énorme au vivre ensemble et au maintien du lien social. Et que tant que rien ne sera fait pour revaloriser ces métiers, au niveau salaire, conditions de travail, reconnaissance, on va certainement peiner un moment avant d’y voir de la mixité.
En novembre dernier, le président de FACE 85 m’a demandé d’intervenir à l’occasion d’un « job dating » (simulation d’entretien d’embauche en format flash, pour des jeunes de BTS et Bac pro) avec cette idée de promouvoir la mixité des métiers et sa commande était notamment d’inviter les jeunes, et tout particulièrement les filles, à ne pas se laisser enfermer par les stéréotypes. J’ai accepté le défi ! mais cela m’a beaucoup questionnée que la manière d’aborder le sujet pour justement éviter de retomber dans les clichés et les injonctions stériles.
Je vous partage ici les éléments clés de mon speech.
Les constats
Parler de mixité à des jeunes, cela peut sembler incongru et obsolète. En effet, à lire certains médias, la jeune génération aurait dépassé les stéréotypes, les enjeux de mixité ne seraient plus un sujet et l’égalité serait bien là.
D’ailleurs, les résultat de l’enquête Gender scan de 2021, à laquelle ont répondu plusieurs milliers de lycéens et lycéennes, ont montré que 85% des jeunes pensent que les filles et les garçons ont les mêmes opportunités professionnelles.
Pourtant, même si on perçoit que filles et garçons ont les mêmes opportunités, la réalité dans les filières professionnelles est tout autre. On a encore des répartitions filles/garçons extrêmement marquées : moins de 17% de filles dans les écoles d’ingénieurs, moins de 20% de garçons dans les écoles d’infirmier·es.
Ces différences majeures qu’on observe, elles sont le fruit de ce qu’on appelle notre socialisation : les influences de notre famille, de nos profs, de nos potes, des réseaux sociaux, des médias, des films etc. tout cela nourrit nos représentations et vient influencer les choix qu’on fait en terme notamment d’orientation.
Lors de mon intervention, j’avais proposé un sondage aux jeunes présent·es dans l’auditorium.
- levez la main si vous connaissez un garçon qui réalise une formation de CAP Petite enfance ou d’infirmier : J’ai obtenu 1 main levée
- levez la main si vous connaissez une fille qui fait une formation dans l’informatique : j’ai obtenu une dizaine de mains levées (un des établissements présents avait une formation informatique)
Le constat que l’on peut faire c’est que même si ces formations sont ouvertes à toutes et tous, ça ne suffit pas à créer de la mixité.
Alors une fois qu’on a dit ça, comment on fait pour casser les codes et dépasser les stéréotypes ?
A ce stade, j’ai proposé 3 manières d’agir à mon audience (je parle en « vous » dans les paragraphe qui suivent car je m’adresse aux jeunes).
Les carrières ne sont plus linéaires
La première manière d’agir c’est de se dire que la formation que vous faites aujourd’hui ne va probablement pas déterminer l’entièreté de votre carrière professionnelle. Si on combine les stéréotypes qui pèsent sur nous à l’adolescente et la nécessité de faire un choix d’orientation très tôt (dès la troisième), on voit bien que probablement, pour un certain nombre d’entre vous, le choix de formation est peut-être un choix par défaut ou qui ne colle pas exactement à ce que vous voulez vraiment faire dans la vie mais pour tout un tas de raisons. Et c’est OK.
Vous aurez l’occasion probablement pour une partie d’entre vous de changer de voie, d’évoluer, de changer de secteur d’activité et de capitaliser évidemment sur votre formation actuelle et sur vos premières expériences mais pour aller investir d’autres horizons.
C’est notamment à ces moments-là que je peux que vous inviter à oser investir les champs qui vous tiennent à cœur. Parfois, c’est plus facile quand on a pris un peu d’âge de s’éloigner des injonctions qui pèsent sur nous à l’adolescence pour aller vers un secteur qui nous tient un vraiment à cœur et qui parfois prend le contre-pied des stéréotypes.
Etre un·e influenceur·se
Une autre manière d’agir pour casser les codes c’est d’user de votre pouvoir d’influenceur et d’influenceuse. Ce qui peut aider parfois à dépasser les stéréotypes et à sortir des sentiers battus c’est de prendre conscience de ce pouvoir.
Il y a des filles en formation carrosserie aujourd’hui. Peut- être qu’avant qu’elles se lancent, dans leur famille, on pensait que ce n’était pas un métier pour les femmes. Et puis elles arrivent et elles montrent que c’est possible et alors ça agit sur leur entourage, sur l’entourage des copains de classe, etc. C’est un énorme pouvoir ! Vous pouvez toutes et tous être des rôles modèles pour votre entourage familial et amical.
Mais être influenceur·se c’est aussi adopter la bonne posture auprès des personnes qui osent casser les codes, d’être quelqu’un qui sait soutenir, encourager les personnes autour de lui, autour d’elle qui s’engage sur des voies peut-être un peu plus « atypiques » (pour le moment), de ne pas juger, de ne pas stigmatiser, ne pas se moquer et au contraire féliciter.
Je vous invite à réfléchir à comment je réagis si mon pote me dit qu’il veut être coiffeur ou instituteur en maternelle ?, comment je réagis si ma pote me dit qu’elle veut conduire une grue ou qu’elle veut travailler dans un garage pour faire de la mécanique ?
Soyons toutes et tous des influenceur·ses !
Moi, futur·e professionnel·le
Il y a une dernière manière d’agir pour permettre à soi-même et à un maximum de gens de casser les codes et d’oser investir réellement tous les secteurs d’activité et là je m’adresse aux futur·es professionnel·les que vous êtes.
On peut agir une fois qu’on est en poste, en ayant la bonne posture avec ses collègues femmes et hommes. Lutter contre les stéréotypes, c’est aussi faire en sorte de bannir des comportements stéréotypés sexistes à l’encontre de nos collègues. Je le dis notamment pour les personnes qui sont aujourd’hui dans des secteurs où il y a peu de femmes ou peu d’hommes : ça veut dire que peut-être demain dans vos environnements de travail il y aura également peu de femmes ou peu d’hommes.
La mixité elle dépend aussi de comment vous allez vous comporter en tant que collègue à l’encontre de ces personnes. Est-ce que vous allez avoir des comportements sexistes et stéréotypés ? Est-ce que vous allez tolérer les propos sexistes les remarques déplacées, les gestes inconvenants ou est-ce que vous allez vous ériger contre ça, est-ce que vous allez agir pour éradiquer le sexisme ?
Parce que je crois que ça passe par là aussi. Rendre tous les secteurs attractifs, pour les filles comme pour les garçons, c’est faire en sorte de rendre ces environnements professionnels propices à l’épanouissement de chacune et de chacun.
Et vous, vous leur auriez dit quoi à ces jeunes pour les encourager à casser les codes des métiers ?