Quelle est la représentation des métiers des enfants de 6 à 12 ans ? ou dit autrement, « Les métiers ont-ils un sexe ? ». C’est le titre provocateur du livre de Françoise Vouillot[1] qui a le mérite de mettre les pieds dans le plat. Les chiffres publiés dans des études récentes semblent répondre par l’affirmative à cette question.
Ainsi, 12% des métiers sont mixtes en France. 1% des hommes seulement exercent le métier de sage-femme et les entreprises du numérique qui font face à des pénuries de main d’œuvre s’inquiètent du manque de femmes dans leurs viviers.
Or les métiers exercés résultent des choix d’orientation réalisés en amont, tout au long de la scolarité mais également de nos représentations et d’orientations qu’on se donne la possibilité d’envisager (ou pas).
Un cas pratique
J’ai repris mes études il y a presque 1 an. Et pour valider mon Diplôme Universitaire « Etudes sur le Genre » de l’université de Rennes 2, il fallait entre autre que je produise une enquête sur les représentations des métiers chez les enfants entre 6 et 12 ans.
Évidemment, on est loin de l’étude universitaire détaillée et exhaustive. On est surtout très loin d’un échantillon représentatif puisque je n’ai interrogé « que » 5 filles et 5 garçons. L’enquête portait sur leur vision de 6 métiers particulièrement genrés. Et je leur ai ensuite demandé ce que elles.eux voulaient faire « quand ils seraient grand.es ».
Les enfants que j’ai interrogés sont des enfants de personnes de mon entourage. Pas trop proches pour ne pas introduire de biais relationnel mais malgré tout, des membres de mon cercle familial et amical et donc de mon cercle social.
La première partie de l’enquête
J’ai d’abord interrogé les enfants sur la vision qu’ils avaient des métiers de maître.sse d’école, infirmier.e, agent.e de ménage, électricien.ne, policier.e et conducteur.trice de camion. Ces métiers figurent dans une étude de la DARES [2]. Ils font partie des 20 métiers contribuant le plus à l’indice de ségrégation professionnelle en 2011. Les 3 premiers métiers font partie des 10 métiers dans lesquels on trouve le moins d’hommes. Les 3 suivants font partie des 10 métiers dans lesquels on trouve le plus d’hommes.
Afin d’évaluer la représentation des enfants sur les métiers, je choisis de leur faire évaluer 4 descripteurs :
- Métier Féminin / masculin
- Nécessite de faire Peu/Beaucoup études
- Permet de gagner Peu/ Beaucoup de salaire
- Métier Peu/Très intéressant (varié, on ne s’ennuie pas)
Je me suis inspirée de l’étude de Vilhjalmsdottir et Arnkelsson[3] pour l’évaluation des descripteurs : « chacun des descripteurs était évalué sur une échelle bipolaire en cinq points avec, à chaque extrémité, les adjectifs formant une paire opposée. »
Par exemple, j’ai demandé à chaque enfant si pour elle.lui, le métier d’infirmier.e était un métier féminin (notes 1 et 2) ou masculin (notes 4 et 5).
Les résultats marquants de l’enquête
Les filles et les garçons ont identifié les 3 métiers féminins comme féminins et les 3 métiers masculins comme masculin. Seul le métier de maître.sse est perçu comme neutre en moyenne par les garçons.
Le métier d’agent de ménage est celui qui fait le plus consensus quant à son genre féminin. Même H. qui a attribué la note de 3 (neutre) aux autres métiers et a indiqué au cours de l’enquête que « tous les métiers sont pour tout le monde », a attribué la note de 2 (féminin) à ce métier.
Les filles perçoivent les métiers féminins comme plus féminins que les garçons (exemple : note moyenne infirmier.ère de 2.2 pour les filles et 2.8 pour les garçons). Elles perçoivent les métiers masculins comme plus masculins que les garçons (exemple : note moyenne électricien.ne de 4 pour les filles et 3.2 pour les garçons)
J’ai également trouvé 2 tendances observées dans l’étude de Vilhjalmsdottir et Arnkelsson qui pointaient que :
- les garçons attribuaient une meilleure rémunération aux métiers masculins que féminins. Ici, les garçons identifient les métiers d’électricien.ne et de policier.e comme les plus rémunérateurs (note moyenne de 4).
- les filles démontrent un intérêt plus marqué pour les métiers féminins et un intérêt moindre pour les métiers masculins.
Les souhaits d’orientation professionnelle
J’ai ensuite demandé aux enfants les 3 métiers qu’elles.ils souhaitaient faire plus tard et les raisons de ce choix. Là encore, les réponses des enfants sont très genrées.
En effet, les 5 filles ont cité le métier de maîtresse d’école et ont justifié ce choix par le fait « d’aimer être avec des enfants ». Elles ont également largement cité des métiers « artistique » (danseuse, musicienne, chanteuse).
Alors que les garçons ont évoqué des métiers de sportif professionnel et des métiers en lien avec les forces de l’ordre.
Ainsi dès le plus jeune âge, les enfants acquièrent des représentations stéréotypées des métiers qu’ils et elles voudront (pourront) exercer et dans lesquels ils et elles se projettent.
Comment lutter contre les stéréotypes de genre ?
Les stéréotypes sont véhiculés par de nombreux vecteurs et les enfants sont en contact permanent avec ces représentations biaisées. A l’école, dans le cercle familial, dans les livres et les dessins animés ou encore via les jouets, le monde leur est souvent présenté selon une représentation stéréotypée.
Le travail de déconstruction doit donc être mené à plusieurs niveaux et par de nombreuses personnes. Dans ce contexte, j’avoue que les choses peuvent sembler un peu décourageantes. Mais heureusement les choses bougent et des personnes s’engagent.
De nombreux projets s’intéressent à cette question de la division sexuée de l’orientation et offre aux jeunes des espaces pour comprendre et déconstruire les schémas traditionnels.
Des associations comme Elles Bougent ou Capital Filles mettent en relation des femmes salariées dans des milieux techniques et scientifiques avec des collégiennes et des lycéennes.
De plus en plus de structures s’engagent dans une communication non stéréotypée qui s’appuie notamment sur des visuels moins stéréotypés. Pépite sexiste traque, à l’aide de témoignages, les publicités sexistes.
Et les rôles models « à contre-courant » sont de plus en plus mis en avant, que ce soit des femmes dans des métiers dits masculins ou des hommes dans des métiers dits féminins.
Il s’agit enfin pour chacune et chacun d’être attentif à n’enfermer personne et à ouvrir le champ des possibles par des encouragements et du soutien à chaque enfant, qu’il s’imagine astronaute, sage-femme ou tourneur-fraiseur.
[1] Françoise VOUILLOT, Les métiers ont-ils un sexe ?, BELIN – EGALE A EGAL
[2] DARES, « La répartition des hommes et des femmes par métiers », Analyses, n°79, 2013
[3] G. Vilhjalmsdottir et G. B. Arnkelsson, L’orientation scolaire et professionnelle, Numéro 36/3, Varia, 2007