Coupes budgétaires à la région Pays de la Loire : les impacts au prisme du genre

par | 13 Fév 2025

Lire plus

Mo budget coupé par une paire de ciseaux

Il était difficile de manquer la déflagration causée par les annonces de coupes budgétaires de la région Pays de la Loire. Le sujet était omniprésent dans les médias, y compris nationaux en décembre. Beaucoup de choses ont déjà été écrites sur ces coupes budgétaires. Mais j’ai voulu m’atteler à un exercice d’analyse particulier : tenter un décryptage des impacts de ces coupes budgétaires au prisme du genre.

LE CONTEXTE

Lors des sessions consacrées au vote du budget, les élu·es du groupe majoritaire de la région des Pays de la Loire ont entériné les 100 millions de coupes qui vont s’échelonner jusqu’en 2028. Ainsi, la plus grosse partie des coupes (près de 80 millions d’euros) commence bien dès 2025. 19 millions d’économies supplémentaires sont déjà actés pour 2026.

Diagramme des coupes budgétaires de la région pays de la loire

Dans le détail, et par ordre décroissant de montant, voici les coupes par secteur:

-1,20 million pour les territoires

-24,7 millions pour les mobilités

-17,5 millions dans l’enseignement secondaire.

-11,03 millions pour la formation et l’orientation

10,59 millions pour la culture, le sport, la vie associative. 

-9,07 millions pour le fonctionnement de la collectivité. 

-7,56 millions pour l’économie. 

-6,60 millions pour l’environnement. 

-6,10 millions pour les fonds européens. 

-2,78 millions pour l’agriculture. 

-2,55 millions pour l’enseignement supérieur, la recherche. 

-1,52 million pour l’action internationale. 

LES IMPACTS DE CES COUPES BUDGÉTAIRES EN PAYS DE LA LOIRE

J’ai donc voulu dans cet article m’intéresser à certains impacts de ces coupes budgétaires et tout particulièrement aux impacts genre. En effet, contrairement aux idées reçues, les politiques publiques et donc les budgets des collectivités ne sont pas neutres. Souvent pensées pour bénéficier « à toutes et tous » de manière équitable, les politiques publiques sont rarement neutres. Ainsi, on constate très souvent que les citoyen·nes restent inégaux en terme d’accès aux services et programmes publics.

Aussi, j’ai voulu illustrer ici quelques uns de ces impacts différenciés d’un point de vue du genre.

Ce qui suit n’est pas exhaustif, parfois certainement approximatif. Il manque le détail financier ligne à ligne des programmes. Mais il s’agit d’une tentative d’éclairer de quelle manière des décisions politiques vont réellement toucher la vie des habitants et des habitantes du territoire.

L’EMPLOI

Le premier impact sur lequel je m’arrête concerne l’emploi.

Les coupes budgétaires vont avoir un impact direct sur l’emploi au sein même de la région puisque la suppression d’une centaine de postes a été annoncée. Il y aura ensuite des impacts indirects. Ils seront la conséquence de suppressions de postes liées à la baisse des subventions (des établissements culturels et des clubs sportifs – entre autres – vont devoir réduire leur masse salariale, etc.). Il y a également tous les postes qui ne seront pas crées (emplois dans la restauration pour faire face à un pic d’activité dans le cadre d’une manifestation culturelle qui n’aura plus lieu, heures de travail non générées par l’absence de financement pour des créations culturelles, etc.)

Les emplois à la région

Pour ce qui concerne les emplois supprimés dans les services de la Région, la composition exacte des effectifs n’est pas communiquée dans le dernier rapport égalité. Mais on peut présager que les femmes seront les plus concernées puisque les femmes représentent un peu plus de 60% des effectifs de la région (chiffre reconstitué à partir des données fournies dans le dernier rapport égalité).

Les emplois indirects

Pour ce qui concerne les emplois impactés de manière indirecte le Mouvement associatif estime que « pas moins de 13 000 emplois de l’ESS – composée à 84% d’emplois associatifs – seraient menacés en Pays de la Loire ». Or les femmes sont majoritaires dans le secteur de l’ESS puisqu’elles représentent près de 68 % des salarié·es. 

Le monde de la culture est lui aussi particulièrement frappé par les coupes budgétaires et cela aura des conséquences majeures sur l’emploi. Ainsi, une enquête menée par les six pôles culturels régionaux des Pays de la Loire révèle notamment que 2 443 emplois sont menacés suite à une diminution ou à un arrêt des financements publics en 2025. Cela représente 36,5% des emplois des 736 structures interrogées, tous types de contrats confondus : CDI, CDD et intermittent·es. A noter que sur le statut intermittent, les hommes sont majoritaires puisqu’ils représentent 61.4% des bénéficiaires d’après France Travail.

Près de 50% du panel de l’enquête envisage le gel des recrutements, la non-reconduction de contrats de prestataires et de CDD ou même le licenciement économique de personnels permanents. Et les acteur·ices du monde culturel alertent également sur les répercussions sur d’autres secteurs d’activité liés à la culture, tels que la sécurité événementielle, la billetterie, la restauration, l’hôtellerie, la communication, etc.

L’AIDE AU CO-VOITURAGE EN PAYS DE LA LOIRE

La compétence mobilités est la plus touchée en terme de budget, avec une coupe de près de 25 millions d’euros.

Pourtant dans ce domaine, les inégalités d’accès et d’usage sont nombreuses comme le rappelle l’INSEE dans son étude dédiée de 2023.

Ce sont notamment les dispositifs d’aide au covoiturage qui ne devraient plus être financés. Or ces dispositifs sont majoritairement utilisés par les femmes comme le pointe le rapport EFH 2022: « 62% des bénéficiaires sont des femmes, avec une proportion importante d’employées, pour lesquelles ce dispositif permet notamment des déplacements sur une grande amplitude horaire ».

Panneau aire de covoiturage

LA TRANSITION ECOLOGIQUE

D’après la presse local, ce sont près d’une vingtaine d’association d’éducation à l’environnement qui devraient perdre peu à peu leurs financements.

C’est évidemment un très mauvais signal renvoyé en terme de prise en compte de l’urgence climatique, et surtout un très mauvais calcul d’après Antoine Charlot, directeur du comité 21 et secrétaire général du GIEC Pays de la Loire : “Dans le domaine de l’écologie, il faut penser à long terme. Ce qui peut sembler une dépense aujourd’hui est en réalité un investissement pour éviter les coûts des catastrophes écologiques à venir. La transition écologique offre à nos entreprises l’opportunité d’innover. Elle crée les emplois de demain et renforce la résilience de nos territoires face aux changements climatiques et à la raréfaction de nos ressources ». (source article France Info)

Or, il est prouvé que les enjeux de dérèglement climatique et de genre sont fortement imbriqués. Ainsi, plusieurs études, menées en différents endroits du globe démontrent que les femmes payent souvent un tribu bien plus lourd face aux épisodes météo violents et elles subissent des conséquences sous forme notamment de violences accrues.

Pour en savoir plus, je vous invite à écouter les épisodes du podcast « Un jour la Terre s’ouvre » de Louie Media. On y apprend notamment que dans certains villages d’Indonésie, lors du tsunami de décembre 2004, jusqu’à 4 fois plus de femmes que d’hommes ont péri, à cause des rôles sociaux de genre, du fait que trop peu de filles et femmes apprennent à nager ou encore à cause des vêtements qui entravent la fuite. On y découvre également que les sécheresses qui détruisent les récoltes en Afrique ont un impact sur l’augmentation du taux de mariages forcés des filles mineures.

L’INSERTION DES JEUNES

La région a annoncé des coupes majeures dans le financement des missions locales.

Elle devrait également réduire les moyens alloués aux jeunes décrocheurs. Là, ce sont les garçons qui sont les principaux bénéficiaires (« sur l’année scolaire 2022-23, ce sont plus de 3 400 jeunes qui ont été repérés et aiguillés par les PSAD auxquels s’ajoutent des jeunes directement pris en charge par la Mission locale. Les jeunes concernés sont majoritairement des garçons (60,4 % versus 39,6 % de filles)« ). Mais toute action non menée en direction des jeunes décrocheurs et décrocheuses a des conséquences d’autant plus fortes pour les filles comme le rappelle le rapport EFH de la région :

« En 2019 comme en 2010, les garçons sont plus touchés que les filles : 6,9 % contre 4,8 %. Toutefois, le décrochage semble davantage compromettre la vie active des filles. En effet, les décrocheuses investissent moins le monde du travail que les décrocheurs : 34 % des décrocheuses ne sont ni en emploi ni au chômage contre 22 % des garçons. En comparaison, les diplômées du certificat d’aptitude professionnelle ou du brevet d’études professionnelles (CAP-BEP) sont inactives dans 8 % des cas. La maternité avant l’âge de 20 ans peut être une des causes de décrochage scolaire. Les filles décrocheuses sont aussi davantage confrontées au chômage : leur taux de chômage est de 59 %, supérieur de 8 points à celui des garçons.« 

LA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES SEXUELLES ET SEXISTES

Sur ce volet, les coupes sont massives. Les têtes de réseaux féministes vont ainsi voir leurs aides se réduire à quasi néant. Elles intervenaient jusqu’à présent pour diffuser des messages de prévention et de lutte contre les violences sexuelles et sexistes (relation de couple, questions liées à la vie affective et sexuelle, promotion de la liberté individuelle et respect des différences). Mais tous ces programmes sont menacés voire condamnés.

Pourtant, dans son rapport égalité femmes-hommes 2022, la région n’hésitait pas à rappeler ces chiffres alarmant :

« En ce qui concerne les violences sexistes et sexuelles, le travail mené par le HCE pointe que 71 % des filles et 51 % des garçons affirment que les sujets de harcèlement et de violences ne sont pas assez évoqués au cours de leur scolarité et qu’ils et elles se sentent désarmées. Ce sont également 48 % des jeunes qui considèrent que la thématique des relations affectives et sexuelles n’est pas suffisamment abordée pendant la scolarité.« 

Ce sont donc les jeunes du territoires qui vont se trouver privé·es des dispositifs de sensibilisation. A terme, cela aura bien sûr des conséquences pour les filles et les femmes puisqu’on le rappelle, chaque année on estime à 230000 le nombre de filles/femmes victimes de viol ou de tentative de viol. Par ailleurs, on peut rappeler que pour près d’1 fille sur 6, l’entrée dans la vie sexuelle se fait par un rapport non consenti (enquête Nous Toutes).

Enfin, même si « la précarité menstruelle qui touche près de 1,7 millions de femmes est une question de santé publique
et d’égalité femmes-hommes
 » toujours dixit le rapport EFH, la région n’hésite pas à couper dans les crédits dédiés, ce qui va impacter très directement les lycéennes du territoire.

POUR CONCLURE

On le voit, les filles et les femmes de la région Pays de la Loire vont donc être les grandes perdantes de ces réductions budgétaires, et les impacts genre de ces coupes budgétaires sont majeurs, que les impacts soient directs ou indirects.

La liste des impacts n’est pas exhaustive et les réflexions menées ici mériteraient bien sûr d’être approfondies mais c’est une ébauche de travail qui ne demande qu’à être poursuivie, enrichie, complétée.

Si vous souhaitez apporter des compléments, des éclairages particuliers ou des données, n’hésitez pas à me contacter !

Écrit par Aurélie Arquier

Conseil et formation – L’égalité en Version Opérationnelle. Je vous aide à penser, parler, agir égalité. Adjointe en charge de l’Animation et de la vie associative sur une commune de (presque) 5000 habitants.

Article à la une

La pénibilité des métiers féminisés

Le 15 mai dernier étaient célébrés les 30 ans du MAGE, le réseau de recherche international et pluridisciplinaire "Marché du travail et de genre". L’occasion de rendre femmage à Margaret Maruani, sociologue incontournable et de revenir sur plusieurs grandes recherches...

lire plus