Le 14 novembre dernier, la mission égalité de l’université de Nantes, par la voix de Pascale Kuntz, conviait la politologue Réjane Sénac pour une conférence sur son livre « L’égalité sans condition » (Editions Rue de l’Echiquier).
Le lendemain, la commission égalité du barreau de Nantes conviait l’historienne Eliane Viennot pour une conférence intitulée « Maître ou Maîtresse ? » avec pour enjeu de questionner la féminisation des titres et des noms de métiers.
Les 2 conférences ont été brillantes, les 2 chercheuses maniant aussi bien le fait historique que l’ironie grinçante. Ce qui est notable également, c’est que les 2 conférences se sont comme répondues malgré la barrière temporelle. Elles se sont fait notamment écho sur 2 thèmes :
- La notion de « fraternité » : celle de notre devise républicaine du côté de R. Sénac et celle portant racine dans l’expression convenue « confraternellement » du côté du barreau de Nantes.
- L’emploi des désignations de métiers et fonctions au féminin et au masculin : cette question était au cœur de la conférence du barreau de Nantes et elle s’est retrouvée également dans l’introduction de Pascale Kuntz. Alors qu’elle évoquait le travail de la mission égalité de l’université de Nantes et notamment sur les nouveaux statuts de l’université, elle nous a révélé l’avis négatif reçu de la part du ministère de tutelle sur la féminisation des titres de métiers/fonctions/diplômes au motif que « le masculin est neutre et donc qu’il désigne à lui seul le masculin et le féminin ».
Revenons d’abord sur la question de « Fraternité ».
Pour Réjane Sénac, au cœur de notre devise républicaine, elle induit une séparation entre les « frères » et les « non frères » (dont font partie les femmes et les personnes racisées entre autres). Rappelons ici que cette devise a été adoptée par la IIème République, le 27 février 1848, année de la mise en place du suffrage universel… mais universel uniquement pour les hommes puisqu’il faudra attendre 1944 pour le droit de vote de l’autre moitié de cet universel.
Elle précise : « Le dernier terme de la devise républicaine (la Fraternité) incarne la profondeur à la fois historique, théorique et politique d’une égalité entre frères excluant explicitement puis implicitement de la « classe des égaux » ces « non-frères » que sont les femmes […] » (Réjane Sénac, L’égalité sans Condition)
Du côté du barreau de Nantes, l’expression consacrée de fin de missive « confraternellement » est très ancrée dans les usages. Eliane Viennot pointe la racine du mot et invite à changer l’usage. Mais les participants à la conférence s’interrogent : Peut-on s’en affranchir sans paraitre impoli ou sembler rompre avec la « tradition » si cruciale dans ce milieu ? Par quelle expression la remplacer ?
Voilà de quoi alimenter les débats de la commission égalité du barreau pour les mois à venir.
Il est à noter que dans les 2 cas, de nombreuses personnes, femmes et hommes, ne voient pas bien « quel est le problème » puisque pour eux la fraternité est englobante et pas clivante. Ce à quoi Réjane Sénac répond en forme de conclusion : « Si sur les frontons de nos mairies, la devise était Liberté, Egalité, Sororité, on aurait du mal à faire croire qu’on n’exclut pas les hommes ».
Les 2 conférences ont également évoqué la question de la « féminisation » des noms de métiers et de fonction. J’utilise les guillemets à dessein après avoir reçu la leçon d’E. Viennot : il ne s’agit pas de féminiser, terme que laisse à penser qu’il faudrait créer des néologismes pour dire au féminin. Les mots existent, on a tous les termes pour dire au féminin et décliner pour chaque métier l’usage du féminin, alors plutôt que de « féminiser les noms de métiers », il s’agit plutôt de les « dire au féminin et au masculin ».
L’Académie française a « lâché les armes » pour reprendre les termes ironiques d’E Viennot. L’expression prend tout son sens après l’exposé détaillé de l’historienne montrant comment le féminin a été systématiquement déprécié à partir des 13 – 14ème siècles et surtout à partir du 17ème siècle, période de la création de l’Académie française et de l’apparition des universités : les femmes commencent à faire carrière et à arriver sur le terrain de la parole publique, de la pensée, de la création. S’en est trop pour ceux qui estiment que ces activités sont des terrains masculins. C’est donc à cette période que vont être éradiqués les mots autrice, poétesse, peintresse, etc.
Ainsi, en1651 on peut lire « parce que le genre masculin est le plus noble, il prévaut seul contre deux ou plusieurs féminins, quoiqu’ils soient plus proches de leur adjectif » (Scipion Dupleix, Liberté de la langue françoise).
Et c’est ce travail de sape en règle qui a conduit à la règle bien connue des écolier.es : « le masculin l’emporte sur le féminin ».
Il faut donc agir, se saisir des mots qui existent (ou ont existé), exploiter la richesse de notre langue. Le français est une langue à 2 genres et il y a autant de mots pour désigner le féminin et le masculin. Les 2 genres se déclinent dans nos déterminants, nos substantifs, nos adjectifs, nos participes, nos pronoms, etc. alors utilisons la diversité de vocabulaire à notre portée. Eliane Viennot nous invite également à renouer avec l’accord de proximité et l’accord de plus grand nombre.
Nommer, c’est faire exister, c’est donner l’opportunité d’imaginer, de se projeter. Alors nommons !