A quelques mois des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, je voulais apporter ma pierre à l’édifice et tenter d’ouvrir des pistes de réflexion et de travail autour d’un sujet qui préoccupe de plus en plus les acteurs et actrices du monde sportif : comment promouvoir l’égalité dans la pratique sportive ?
Je partage ici quelques éléments et inspirations glanées lors de mon parcours de joueuse et présidente d’un club de rugby, d’adjointe à la vie associative et d’experte des questions d’égalité.
Les constats
Les chiffres chiffres clés sur la pratique sportive des français et françaises sont nombreux et pour certains d’entre aux pourraient sembler encourageants avant d’être contredits par des chiffres plus démoralisants !
Les chiffres clés
Ainsi, je pourrais citer une étude de l’INSEE de 2020 sur la pratique sportive selon laquelle autant de femmes que d’hommes déclarent pratiquer une activité physique et sportive 1 fois par semaine mais qui montre aussi que 71% des hommes déclarent avoir une activité sportive régulière (au moins 2 fois par semaine) contre 60% des femmes, et qui montre également que le cadre de pratique est très différent (compétition pour les hommes/ loisir pour les femmes).
Je peux aussi citer cette étude sur l’évolution de la pratique dite encadrée, menée par les chercheuses Cécile Ottogalli-Mazzacavallo et Marie-Carmen Garcia. Les universitaires y font apparaître que dès la tranche d’âge 5-9 ans, on observe un déficit de filles pratiquantes, avec près de 2 fois plus de garçons que de filles dans les disciplines olympiques. Et que ce fossé ne fait que ce creuser à l’adolescence. Pour autant, un point d’espoir au milieu du brouillard : la dynamique des pratiques encadrées, et notamment des sports de grand jeu (foot, rugby) est tout particulièrement nourrie par les filles/femmes (+8,1% de filles/femmes licenciées contre +2,5% de licences garçons/hommes entre 2012 et 2017).
La division sexuée des pratiques persiste : la plupart des pratiques sont très masculines et on compte moins de 10 pratiques (sur 110 fédération) qui ont plus de 50% de filles/femmes.
La cause des inégalités
Les inégalités sont multi factorielles mais on peut faire émerger 2 grandes causes :
- Un héritage historique : le mouvement sportif a durablement participé à l’exclusion des femmes ou leur marginalisation, les institutions olympiques qui ont mis du temps à atteindre la parité des athlètes
- La façon dont on éduque les filles et garçons : on parle de socialisation différenciée, qui va contribuer au devenir femme ou devenir homme avec des sources nombreuses comme la famille, l’école, les contenus qu’on donne à voir, l’occupation espace de la cour d’école, les médias – 15% de visibilisation du sport pratiqué par les femmes, les politiques publiques, etc.
Il y a donc nécessité à travailler sur les vecteurs de socialisation, sensibiliser les adultes, les professeur·es, les parents. Mais également faire évoluer les représentations et les imaginaires autour du sport. Vaste chantier !
Promouvoir la pratique
Les rôles modèles et la médiatisation
La place des femmes inspirantes est déterminantes pour promouvoir la féminisation d’une discipline sportive. De même que la médiatisation (télévision, réseaux sociaux, presse spécialisée ou pas) joue un rôle clé pour faire connaître une discipline.
Je me souviendrai longtemps de Capucine, qui jouait au rugby à 16 ans dans les années 2010 et dont l’idole était William Servat (ndrl talonneur de l’équipe de france masculine). Parce que à l’époque le rugby féminin n’était pas médiatisé. Quelques années plus tard, le rugby féminin est enfin à la télé et désormais, les jeunes joueuses ont pour idole des femmes, joueuses du XV féminin. Et ça, ça change tout !
Valoriser les joueuses « stars » de votre club/discipline, les rendre visibles, leur permettre de rencontrer la jeune génération, cela va sans aucun doute susciter des vocations et faciliter la projection et l’identification.
On peut aussi utiliser la renommée de la section masculine pour attirer du public et faire découvrir la section féminine et lui offrir une meilleure visibilité comme le fait le Stade Toulousain : même affiche, mêmes couleurs, même stade et les hommes en « lever de rideau ».
« Les filles ne sont pas nulles en sport, elles sont simplement sous entrainées »
J’ose balancer le pavé dans la mare ! Oui parfois, la non-mixité peut être une étape pour ensuite mieux faire mixité. Je vous partage ici les initiatives portées par le club des Flying Rabbits, club d’ultimate belge. Ils ont notamment produit un guide très précieux sur l’intégration des enjeux de genre dans leur club.
Si l’ultimate est un sport mixte, les membres du clubs ont pu, lors de comptage, constater entre autre, que les femmes ne faisaient presque jamais les relances ou encore que les passes homme-femme étaient peu nombreuses comparées aux passes homme-homme. Certaines joueuses indiquaient également se sentir peu en confiance au sein du collectif.
Pour améliorer la situation, des entrainements en non mixité ont donc été proposés afin de permettre aux femmes de progresser, en complément des entrainement en mixité. Cela a permis aux femmes de l’équipe de gagner en maîtrise technique et donc en confiance pour ensuite trouver parfaitement leur place sur le terrain.
Cet exemple est renforcé par des études universitaires. Ainsi la chercheuse Aïna Chalabaev, enseignante-chercheuse UGA en psychologie sociale du sport, directrice du laboratoire Sport et environnement social (SENS) souligne que « Les hommes sont plus performants… Oui, mais en moyenne ! La variabilité n’est jamais prise en compte alors qu’elle devrait l’être« . Et sa collègue Natalia Bazoge de compléter : « En EPS, au collège ou au lycée, il n’y a pas de raison d’appliquer un barème différent pour les filles et les garçons. Le facteur d’entrainement joue un rôle tellement important pour la performance, qu’une fille qui pratique un sport à l’extérieur sera meilleure qu’un garçon qui n’en fait pas du tout. Très vite, c’est ce facteur qui va prendre le dessus sur les déterminants biologiques.«
Les budgets
Un point d’attention pour les clubs qui ont des sections masculines et féminines concerne le budget alloué à chaque section. Plus largement on peut regarder les conditions de pratiques offertes : qui bénéficie de quels créneaux d’entrainement ? qui pratique sur quel terrain ? qui bénéficie de quels équipements (maillots, etc.) ? comment se déroulent les déplacements pour chaque section ?
Autant de questions qui permettent de faire émerger des inégalités parfois criantes et les corriger ensuite.
Promouvoir la place des femmes dans la gouvernance et l’encadrement
Au-delà de la pratique sportive, il est des bastions qui résistent eux aussi à la féminisation : la gouvernance et de l’encadrement sportif.
La gouvernance
Si les femmes représentent 1 tiers des présidentes du monde associatif toutes activités confondues, dans le sport, elles ne sont que 25%. Et ce constat de la sous-représentation des femmes est valable à tous les échelons. Ainsi au niveau des fédérations, les femmes occupent seulement 16 % des postes de président. Sur 119 fédérations agréées, elles ne sont que 18 présidentes.
Et lorsque les femmes sont présentes dans l’équipe dirigeante, c’est trop rarement sur les postes de pouvoir. Ainsi, Béatrice Barbusse, autrice du livre Du sexisme dans le sport observe que « les femmes sont le plus souvent secrétaire générale, trésorière ou adjointe et s’évaporent au fur et à mesure que le niveau de responsabilité augmente. »
Pour faire évoluer les choses il est nécessaire de questionner à la fois les pratiques et les modèles. Comment sont réparties les charges de travail et de représentation au sein du bureau ? Quelle image de la fonction de président·e est véhiculée ? Comment s’opère la mise en réseau et la cooptation ? Les réunions se déroulent-elles sans propos ou comportement sexiste ? Est-ce la parole est équitablement distribuée ? Quels sont les propos et idées qui sont entendus et pris en compte ?
Il sera également utile d’inscrire une ambition de parité réelle dans tous les organes de la structure sportive. Ceci afin de faire évoluer les pratiques durablement et de constituer un vivier de femmes dirigeantes.
Autant de point à contrôler pour créer les conditions d’une réelle parité en chiffres et en actes.
L’encadrement technique
Sur le champ de l’encadrement technique, les chiffres sont également mauvais.
On compte malheureusement peu de femmes directrice techniques nationale ou régionale ou de femmes entraineuses des équipes nationales. Or avoir des femmes encadrantes, coachs, arbitres cela veut dire avoir des rôles modèles pour les pratiquants filles et garçons. Dans mon passé de joueuse de rugby, j’ai presque toujours été entrainé par des hommes sauf lorsque la présidente fondatrice, ancienne joueuse de l’équipe de France, venait animer des sessions d’entrainement ou lorsque notre capitaine a troqué son maillot de joueuse pour la panoplie d’entraineuse, à chaque fois avec beaucoup de talents et de réussite : on perçoit une acuité plus grande et une meilleure capacité à partager une expérience de joueuse, à passer des messages clés d’ancienne joueuse à joueuse.
Sur ce constat, on peut saluer l’initiative de Sport et Citoyenneté et le programme Pluri’Elles qui visent à promouvoir la place des femmes dans les métiers du sports, autour de 3 grands axes :
- L’accompagnement de 50 futures professionnelles dans la construction d’un parcours de formation et d’insertion professionnelle.
- La mise en place de débats et de concertations, avec l’organisation dans les territoires de conférences régionales dont l’objectif sera de dresser un état des lieux de la féminisation des métiers du sport sur le territoire, d’identifier les freins et leviers d’action possibles .
- La promotion du projet via une communication grand public, avec la réalisation d’une campagne de communication, d’une revue scientifique et d’une web série retraçant le portrait et le parcours d’éducatrices sportives.
La lutte contre les Violences Sexuelles et Sexistes (VSS)
Le sexisme « ordinaire »
Le sexisme dit « ordinaire » est le quotidien de nombreuses sportives et dirigeantes. 2 livres mettent en lumière ce sexisme : celui de Béatrice Barbusse, Du sexisme dans le sport et celui de Marion Poitevin, Briser le plafond de glace. Toutes les deux racontent leur parcours de femmes dirigeantes dans le monde du handball pour l’une et de femme alpiniste pour l’autre. Les anecdotes sont nombreuses et pourraient sembler savoureuses s’il ne s’agissait pas de violences systémiques : être reléguée en deuxième ou troisième de cordée, subir les sous-entendus à caractère sexuel, être vue comme la femme du président alors que l’on est la présidente, etc. Autant d’obstacles qui peuvent faire renoncer à la pratique sportive ou à l’engagement associatif. Et tout cela explique, encore aujourd’hui, le manque de femmes dans le paysage sportif.
Les violences sexuelles et sexistes
Sur la question des VSS, le rapport de la commission d’enquête relative à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif en tant qu’elles ont délégation de service public pointe des chiffres effrayants :
- Un enfant sur sept subit des violences dans le milieu sportif avant sa majorité (rapport du Conseil de l’Europe).
- Parmi les 5,5 millions de femmes et d’hommes adultes qui ont été victimes de violences sexuelles dans leur enfance, 150 000 l’ont été dans le milieu sportif.
Ce même rapport présente le bilan d’activité de la cellule Signal-Sports, mise en place par le Ministère des sports en 2019. Là encore, les éléments sont glaçants.
Bilan d’activité de la cellule Signal-sports au 2 novembre 2023 :
- 1 207 personnes mises en cause (dont 95 % d’hommes) pour 1 145 affaires
- 783 mis en cause sont des éducateurs sportifs, professionnels ou bénévoles
- 65 fédérations sportives concernées.
- 73 % des victimes sont de sexe féminin et 78 % des victimes étaient mineures au moment des faits
Il y a donc urgence à ce que mouvement sportif s’outille et se structure pour lutter en profondeur et durablement contre ces fléaux. Il est également nécessaire que tous les clubs se saisissent du sujet. J’ai été présidente et je dois reconnaître que la tentation est forte de penser que le sujet ne concerne pas notre club, qu’on est une structure familiale où tout le monde se connaît et où cela ne pourrait pas arriver. Pourtant force est de constater qu’aucun type de structure n’est épargné.
Pistes de solutions
Le sport doit rester un espace de plaisir et d’épanouissement et l’on ne peut tolérer collectivement qu’il soit pour certain·es un espace de violence et de douleur. Pour agir, les clubs peuvent donc :
- Inscrire la lutte contre le sexisme dans leurs stratégie
- Former les dirigeant·es, les encadrant·es ET les bénévoles à la lutte contre le sexisme et contre les violences sexistes et sexuelles
- Associer les parents à cette prise de conscience et créer un réseau de vigilance
- Fixer des règles claires de fonctionnement (accès aux vestiaires, comment on se dit bonjour, photos, etc.)
- Faire savoir aux adhérent·es que les agissements sexistes et les violences ne sont pas tolérés et faire connaître les personnes référentes vers qui se tourner en cas de problème
Le rôle des collectivités
Les collectivités sont les premières financeuses du sport au travers de la construction et de la mise à disposition d’infrastructures sportives et via les subventions qu’elles allouent. Elles sont donc des actrices majeures de la féminisation du sport.
Je développerai ce point dans un prochain article. Il sera dédié à l’éga-conditionnalité des subventions et à la prise en compte des enjeux de genre dans les investissements sportifs.
A suivre !