A chaque conférence qui traite de l’égalité professionnelle à laquelle je participe, il y a une question qui revient et qui souvent embarrasse les participant.es de la table ronde : « Et vous, vous en pensez quoi de la discrimination positive ? ».
Et à cette question, j’ai entendu toutes les réponses possibles et la plupart du temps plutôt négatives, qui en substance disent (presque) toutes : « C’est un gros mot », « Pas de ça chez moi », « Les femmes n’ont pas besoin de ça », « Ce n’est pas rendre service aux femmes », « Les choses changent naturellement et notamment avec les changements de génération ». « Les problèmes et les inégalités vont se régler d’eux-mêmes ».
J’avoue que cette question m’a moi-même longtemps interrogée et que j’ai mis un peu de temps à me faire une religion en la matière. Pour autant, désormais mon opinion va dans un sens contraire aux réponses les plus fréquentes. Je vais donc vous partager quelques éléments de langage pour répondre positivement à cette question piège et j’espère vous convaincre de la nécessite de dire « j’y suis favorable car c’est un outil qui peut être puissant ».
Un point vocabulaire
Évidemment le premier point à évoquer est la question du vocabulaire. Comment être favorable à une discrimination alors qu’on sait toutes et tous que c’est un procédé qui est puni par la loi. Et le fait de lui adjoindre un caractère « positif » ne suffit pas vraiment à le rendre plus acceptable intellectuellement.
La définition fournie par le Défenseur des droits indique que « pour qu’une discrimination soit juridiquement constituée, trois éléments doivent être réunis : un traitement défavorable, fondé sur au moins un des critères prohibés par la loi, dans un domaine prévu par la loi. Nous parlons alors de discrimination directe. ». Par cette définition, la discrimination positive serait donc bien une discrimination et donc instinctivement, j’aurais envie de dire que je n’en veux pas.
Je trouve donc plus juste de parler d’action positive, qui me semble être un terme plus adapté au projet porté par la « discrimination positive »
Les définitions dans les textes officiels
Les actions positives sont décrites dans 3 textes de références de notre droit national, communautaire et international.
On trouve d’abord des éléments dans le Code du Travail. Ainsi, l’article L1142-4 stipule que : « Les dispositions des articles L. 1142-1 et L. 1142-3 ne font pas obstacle à l’intervention de mesures temporaires prises au seul bénéfice des femmes visant à établir l’égalité des chances entre les femmes et les hommes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes.
Ces mesures résultent :
1° Soit de dispositions réglementaires prises dans les domaines du recrutement, de la formation, de la promotion, de l’organisation et des conditions de travail ;
2° Soit de stipulations de conventions de branches étendues ou d’accords collectifs étendus ;
3° Soit de l’application du plan pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. »
Par ailleurs, la notion d’action positive apparaît également dans le paragraphe 4 de l’article 157 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) :
« 4. Pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, le principe de l’égalité de traitement n’empêche pas un État membre de maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle. »
Enfin, l’article 4 de la Convention pour l’Élimination de toutes les formes de Discrimination à l’Égard des Femmes (CEDEF) précise :
« 1. L’adoption par les États parties de mesures temporaires spéciales visant à accélérer l’instauration d’une égalité de fait entre les hommes et les femmes n’est pas considérée comme un acte de discrimination tel qu’il est défini dans la présente Convention, mais ne doit en aucune façon avoir pour conséquence le maintien de normes inégales ou distinctes; ces mesures doivent être abrogées dès que les objectifs en matière d’égalité de chances et de traitement ont été atteints. »
Ainsi, les textes parlent de « mesures » pour décrire ces actions positives. Et l’on retrouve à 2 reprises la notion de « temporaire » qui indique bien que pour être recevables, les actions positives doivent avoir un caractère fini dans le temps ; Ainsi, une fois que l’écart est comblé, que le retard est rattrapé, il n’est plus nécessaire de maintenir les dites mesures.
Égalité réelle vs Égalité formelle
Les actions positives visent à atteindre non pas l’égalité formelle entendue comme égalité de traitement entre individus appartenant à des groupes différents, mais une égalité réelle entendue comme une égalité entre les groupes, une égalité collective.
Finalement, un des enjeux est d’observer l’opposition qui s’est forgée entre 2 visions du principe d’égalité. Celle qui impose de traiter de façon identique les individus placés dans des situations identiques (égalité formelle) et celle qui implique de traiter différemment les individus dans des situations différentes, notamment en raison de leur sexe, afin de remédier aux inégalités de faits (égalité réelle ou substantielle). On peut citer ici Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN :
« La distinction cardinale dans ce domaine consiste à différencier l’égalité de droit et l’égalité de fait. On oppose aussi, mais cela revient pratiquement au même, l’égalité formelle et l’égalité réelle, l’égalité des chances à l’égalité de résultats, l’égalité globale à l’égalité marginale ou encore, l’égalité civile à l’égalité sociale ».
Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN
Les actions positives ne seront validées que dans la mesure où elles sont destinées à réaliser l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, en remédiant aux inégalités de fait que subissent les femmes ou dans certains cas les hommes, sur le marché de l’emploi ou dans les autres champs d’application des directives.
L’action positive est par ailleurs plus un processus qu’une notion statique, son contour n’est pas défini dans les textes mais est à trouver dans la jurisprudence de la Cour de justice européenne notamment. Par exemple, dans le cadre d’une action positive pour le recrutement du sexe sous-représenté (1), la Cour a fixé deux critères de validité :
– elles ne doivent pas accorder de manière automatique et inconditionnelle la priorité aux candidates qui ont une qualification égale à celle de leurs concurrents masculins ;
– les candidatures doivent être appréciées objectivement, compte tenu des situations particulières de tous les candidats.
Discrimination positive en faveur des hommes ?
Pour celles et ceux qui pensent que les actions positives en faveur des femmes ne sont vraiment pas acceptables, je voudrais ici rapporter les propos du directeur d’une importante structure culturelle nantaise qui, lors d’une table ronde, à la question de son avis sur la discrimination positive a eu cette réponse inattendue :
« Je m’interroge souvent : est-ce que si j’étais une femme, et à fortiori une femme noire, j’occuperais le poste que j’occupe actuellement ? Est-ce que si j’étais une femme j’aurais eu la carrière que j’ai eue à ce jour ? La réponse est évidente pour moi : probablement pas ».
Cette réponse rejoint un avis que je partage, notamment quand j’observe des assemblées, des photos réunissant le top management de trop nombreuses entreprises. Est-ce qu’il ne serait pas juste de considérer que la situation dans laquelle nous évoluons et les organisations de nos entreprises sont le fruit de discrimination positive en faveur des hommes qui agit depuis des dizaines d’années sans que cela choque qui que ce soit (ou presque et de moins en moins bien sûr !) ?
Messieurs, quel aurait été votre parcours si vous aviez été une femme ? Vous êtes-vous déjà posé cette question ? De quel manière avez-vous accédé à votre poste actuel : un recrutement officiel, ouvert, basé sur des critères objectifs avec une vraie concurrence ou un recrutement en off, par le réseau, parce que vous faisiez correctement votre job précédent et que quelqu’un a supposé que vous seriez bon dans ce poste-là aussi ? Et à ce jeu-là, si vous aviez été une femme, est-ce que l’on aurait pensé à vous de la même manière ? Et quand vous avez été promu, est ce qu’une femme de votre entourage professionnel n’aurait pas pu faire le job au moins aussi bien que vous ?
Ces questions sont délibérément provocatrices mais je les trouve salutaires et légitimes. Je ne pense absolument pas que tous les hommes occupant des postes à responsabilité aient usurpé leur place mais je veux simplement pointer ici qu’en changeant certaines de nos méthodes, et notamment en matière de recrutement et de promotion interne, il est possible de faire progresser la place des femmes dans les entreprises, à tous les niveaux.
Femmes quotas ?
Un argument que j’entends régulièrement est celui de devoir recruter des femmes « quotas ». Le propos liminaire est ici que mettre des quotas consisterait à recruter des femmes « par défaut », des femmes qui ne seraient là que parce qu’elles sont femmes.
Personnellement, je ne crois pas aux femmes quotas pour une raison simple : les entreprises sont là pour faire du business et être performantes et je ne connais pas d’entreprise qui serait prête à embaucher une personne incompétente et refuser des profils masculins compétents simplement pour cocher une case.
Focus recrutement
Ainsi, mon propos n’est pas de dire qu’il faut systématiquement recruter exclusivement des femmes au détriment des hommes à partir d’aujourd’hui mais plutôt de déployer des stratégies qui vont permettre de prendre en considération des candidatures féminines.
Par exemple : Ne commencer un recrutement qu’à partir du moment où il y a des candidatures de femmes (que le recrutement soit interne ou externe, internalisé ou sous-traité), garantir un panel de recruteur.se mixte et ensuite, à candidatures similaires (adéquations du.de la candidat.e avec les valeurs de l’entreprise, compétences) recruter des femmes.
Et si vous complétez cela en sensibilisant vos équipes de recruteurs.ses et managers aux stéréotypes de genre, nul doute que vous allez réussir à développer la mixité de vos équipes sans trop forcer.
Pour toutes ces raisons, si l’on me pose la question, je n’aurais pas peur de dire que « oui, je crois aux actions positives » et qu’elles sont à mes yeux un outil précieux pour compenser le retard existant en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
PS : Le débat est lancé. J’ai hâte de vous lire en commentaires (en toute bienveillance bien entendu !).
Article rédigé par Aurélie ARQUIER – Conseil & Formation Egalité Professionnelle
Note : (1) Affaire Badek, arrêt du 28.03.2000, C-158/97. Voir aussi l’affaire C-407/98 Abrahamsson et Anderson, arrêt du 6.07.2000 qui refuse une pratique qui permettrait d’engager au titre d’une action positive, une personne qui dispose des qualifications requises mais qui a des mérites inférieurs à d’autres candidat-e-s.
Sources :
- Le défenseur des droits
- Baptiste Villenave, La discrimination positive : une présentation, Vie sociale 2006/3
- Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Article 157 (ex-article 141 TCE)
- Nathalie Wiuarme, Module Egalité Professionnelle, DIU Etudes sur le genre Rennes 2
- Elsa Fondimare, La mobilisation de l’égalité formelle contre les mesures tendant à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes : le droit de la non-discrimination contre les femmes ?, La Revue des droits de l’homme Revue du Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux 11 | 2017
- MELIN-SOUCRAMANIEN Ferdinand, Le principe d’égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Paris, Economica, 1997