La commande publique représente aujourd’hui à l’échelle de la France une manne très importante. Elle est à ce titre un véritable levier de promotion de l’égalité femmes-hommes. En 2020, cela correspond à près de 111 milliards d’euros, dont près de 37% pour les collectivités territoriales (1). En 2020, les collectivités territoriales ont lancé un peu plus de 115000 marchés dont 62% ont été remportés par des PME, tandis que les ETI et les Grandes Entreprises sont chacune attributaires de près de 18% des marchés passés par les collectivités (2).
Ces chiffres montrent à quel point la commande publique représente un levier majeur de transformation des pratiques internes des collectivités. Mais la commande publique permet également de toucher un nombre important de partenaires et ainsi transformer leurs pratiques en matière d’égalité femmes-hommes.
Depuis quelques années maintenant, plusieurs collectivités ont engagé une démarche forte d’achat responsable en matière de transition écologique. Des attentions sont portées par exemple au type de matériaux utilisés, à l’origine des produits, à leur cycle de vie, etc.
Et si depuis longtemps un volet social/sociétal est également mobilisé dans le cadre de l’achat responsable, pour le moment il se cantonne principalement à l’utilisation de clauses insertion. Il est donc désormais temps de promouvoir également l’égalité femmes-hommes à travers la commande publique et de faire de cet outil un réel levier de promotion de l’égalité.
Et pour se faire les collectivités disposent de nombreuses stratégies accessibles à toutes, quelle que soit leur taille.
Promouvoir l’égalité femmes-hommes dans la conception de la commande publique : agir en interne
Les collectivités disposent de deux axes principaux d’action en interne. Il s’agit de réfléchir en amont des consultations pour prendre en compte les enjeux de genre. Ainsi, dès que le besoin de consultation est identifié, il faut se poser les bonnes questions en matière d’égalité femmes-hommes. L’objectif est d’avoir une approche intégrée et que la prise en compte de ces enjeux de genre devienne un réflexe pour les équipes opérationnelles et les équipes en charge de la commande publique.
L’analyse du besoin
La plupart des collectivités disposent d’un document permettant au service à l’origine de la demande de marché public de préciser l’objet de cette demande, d’en fournir les détails et les spécifications.
Une piste déjà explorée par plusieurs collectivités est de systématiquement interroger à l’étape « analyse du besoin » quels pourrait être les axes à mobiliser en matière d’achat responsable. Ainsi, les acheteur·ses doivent s’interroger sur la composante environnementale de leur besoin, ainsi que sa composante sociale et sociétale (celle qui nous intéresse ici !) de leur marché. C’est une première approche, qui permet de systématiser le questionnement des équipes opérationnelles mais qui peut ne pas être suffisant si les dites équipes maîtrisent mal les enjeux d’égalité F-H.
L’identification les enjeux de genre
Il est également possible, à cette étape d’analyse du besoin, d’identifier les enjeux de genre propres au marché que l’on s’apprête à passer.
Ainsi à partir d’une grille préétablie d’enjeux de genre, les commanditaires du marché peuvent identifier les leviers de transformation en matière d’égalité femmes-hommes propres à leur marché. Qu’il s’agisse de promouvoir l’égalité professionnelle ou d’assurer l’accès à l’espace public par un aménagement adapté ou de lutter contre les stéréotypes de genre en étant vigilant·e sur le matériel pédagogique que l’on va acquérir, chaque marché (ou presque) à en lui un potentiel de transformation sur la question de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Cette étape permet également de questionner les pratiques internes et de voir comment le fait de les faire évoluer peut améliorer les conditions de travail des prestataires à venir. C’est ainsi que plusieurs collectivités ont remis en cause des pratiques anciennes qui consistaient à réaliser l’entretien des locaux tôt le matin ou tard le soir. En proposant que ces interventions se fassent en journée, la collectivité agit sur les conditions de travail des prestataires.
Ainsi, c’est en systématisant les interrogations préalables au lancement de la consultation que les collectivités pourront prendre en compte au mieux ces enjeux pour les intégrer ensuite éventuellement dans la commande publique (voir ci-dessous) ou par une démarche de concertation préalable au lancement de la consultation par exemple.
Promouvoir l’égalité femmes-hommes dans la mise en oeuvre de la commande publique: agir en externe
Promouvoir l’égalité femmes-hommes par la commande publique, cela passe aussi par le fait d’agir en externe. Cela veut dire accompagner la transformation de ses partenaires et notamment du tissu entrepreneurial local. Cela est rendu possible par le formalisme de la commande publique et les éléments relatifs à l’égalité femmes-hommes qu’il est possible d’y intégrer.
Le rôle du SPASER
Depuis la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire (article 13), les collectivités qui avaient un volume de commande publique supérieur à 100 millions d’euros par an devaient rédiger un Schéma de Promotion des Achats Socialement et Ecologiquement Responsables (SPASER). A partir du 1er janvier 2023, le seuil passe à 50 millions d’euros de commande publique par an. Ainsi un plus grand nombre de collectivités vont être amenées à formaliser un SPASER.
A noter qu’avec le seuil actuel, 160 collectivités étaient concernées par la mise en œuvre d’un SPASER (la majorité des régions métropolitaines, une soixantaine de départements, près de 70 établissements publics de coopération intercommunale et une dizaine de communes) (3).
Ce document est une base de réflexion et qui permet aux entreprises et partenaires de la collectivité de connaître les ambitions de la collectivité en matière de transition écologique mais également sur le volet social. Ainsi, les entreprises et autres soumissionnaires aux marchés publics peuvent adapter leur pratique et de progresser sur ses axes si elles veulent renforcer leurs chances de collaborer avec la collectivité.
Le sourcing
Le sourcing est également une bonne manière de transformer les pratiques des entreprises et structures partenaires. Préalablement au lancement des consultations, certaines collectivités procèdent à ce qu’on appelle du sourcing (ou sourçage). Elles vont à la rencontre des entreprises susceptibles de répondre à leurs consultations pour mieux comprendre leurs engagements, leurs fonctionnements, les innovations qu’elles maîtrisent. Mais le sourçage permet également à la collectivité de transmettre aux partenaires ses ambitions en matière environnementale et sociale. Il permet d’évaluer dans quelle mesure les entreprises et soumissionnaires potentiels sont en capacité d’y répondre.
Cela permet à terme de mieux fixer le niveau d’exigence que la collectivité va pouvoir inclure dans ses cahiers des charges. L’objectif étant bien sûr toujours d’avoir suffisamment de réponse pour que le marché ne soit pas infructueux mais également d’être suffisamment ambitieux dans le cadre de la commande publique et de fixer un niveau d’exigence suffisamment élevé pour tirer vers le haut l’ensemble des partenaires et avoir une prestation de qualité.
La candidature
En complétant les documents administratifs, les soumissionnaires généralement cochent une case précisant qu’ils déclarent sur l’honneur être à jour de leurs obligations en matière d’égalité professionnelle notamment. Actuellement, très peu voire aucune vérification n’est pas jamais faite sur ce point.
Une piste de progrès pourrait être d’exiger des entreprises de présenter les justificatifs de dépôt de leur accord égalité professionnelle ou index égalité professionnelle auprès de la DREETS.
Cette piste devient d’autant plus pertinente au regard des déclarations de la Première Ministre le 6 mars dernier dans une interview au journal ELLE, puisqu’elle déclare : « Une entreprise qui ne renseigne pas les informations ou qui obtiendrait une mauvaise note [à l’index] sera écartée des marchés publics d’ici la fin du quinquennat. ». Si Mme Borne ne précise pas de quelle manière les entreprises devront montrer patte blanche, on voit que cet axe va être déployé dans les années à venir. Les collectivités peuvent donc dès à présent imaginer leur dispositif de contrôle.
Le cahier des charges
L’intégration dans les cahiers des charges d’articles spécifiques en matière d’égalité femmes-hommes pourrait être une manière de faire progresser la prise en compte de cet enjeu dans la commande publique. Bien entendu il s’agit ici que la clause, l’article, porte une exigence exclusivement relative à l’exécution du marché et à l’objet du marché même et non pas au fonctionnement global de l’entreprise. C’est d’ailleurs l’un des principaux freins actuel au déploiement de l’éga-conditionnalité.
Les critères
La collectivité peut également utiliser les critères de sélection du marché pour introduire ses exigences en matière d’achat responsable. Là encore, le critère proposé doit être en lien avec l’objet du marché ce qui rend parfois complexe la définition de ces critères. Des collectivités ont mis en place des « clausiers » (liste de critères). Ainsi les acheteurs et acheteuses peuvent puiser dans cette liste de questions prédéfinies et les adapter à l’objet de leur marché.
Les clauses insertion
Les clauses insertion existent depuis plus de 15 ans. Elles permettent dans le cadre de marchés, de recruter des personnes éloignées de l’emploi. Si les clauses insertion fonctionnent en matière d’accès à l’emploi, elles bénéficient en réalité largement aux hommes. En effet, elles sont mobilisées principalement dans les marchés de travaux.
Ainsi, les clauses insertion concernent aujourd’hui encore principalement des métiers à prédominance masculine (estimation: moins de 15% de femmes bénéficiaires des clauses insertion – voir les chiffres du Rapport 2021 de l’observatoire des clauses sociales dans la métropole de Lyon).
Plusieurs collectivités travaillent à la mise en œuvre de clauses insertion sur d’autres types de marchés et notamment les prestations de services. Si cela ne permet pas complètement de lutter contre la division sexuée du travail, cela permet en revanche de toucher plus de personnes et notamment plus de femmes au travers de ce dispositif.
Le questionnaire
À défaut de critères de sélection ou d’exécution du marché, certaines collectivités ont opté pour un questionnaire additionnel au document de la consultation (Voir par exemple : Paris, Strasbourg). Ce questionnaire n’a rien d’obligatoire et ne rentre pas en ligne de compte pour l’évaluation de l’offre. En revanche, il permet d’interroger les entreprises soumissionnaires (qui acceptent de compléter le questionnaire) sur leur engagement en matière d’égalité professionnelle, sur les actions qu’elles mènent d’ores et déjà sur cette question. Il est aussi possible de questionner les entreprises sur les actions qu’elles envisagent de mener si elles sont attributaires du marché. Le questionnaire, bien que non contraignant et non obligatoire, permet de passer un message clair à l’entreprise sur le fait que la collectivité a une attention particulière sur la question de l’égalité professionnelle.
La clause de départage
Enfin j’ai eu l’occasion d’observer une collectivité qui interrogeait systématiquement les entreprises soumissionnaires sur la manière dont elles envisageaient de travailler sur la question de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l’égalité sur un des cinq axes suivants : « sexe, handicap, âge, origine, religion ».
Mais la réponse apportée par les entreprises n’était analysée qu’en cas de nécessité de départage des offres et ne rentrait pas dans les critères d’évaluation initiaux. Cette méthode présente l’avantage d’avoir une réponse systématique et obligatoire des entreprises à cette question.
Un sujet qui reste à opérationnaliser
Pour aller plus loin sur les questions d’achat public responsable, je vous recommande la lecture du Guide sur les aspects sociaux de la commande publique (version 2022).
Le travail mené sur cette question de la commande publique est passionnant et ouvre de nombreuses possibilités. Il reste cependant du travail à faire pour rendre cette mise en œuvre plus opérationnelle. En effet, des collectivités restent encore frileuses sur la mise en œuvre de critères ou de ou de clauses dans les cahiers des charges en raison de jurisprudences récentes qui rappellent que les critères de sélection mobilisés doivent être en lien avec l’objet du marché et ne doivent pas porter sur la politique générale de l’entreprise.
Je reste convaincue que la commande publique peut-être un levier de promotion en matière d’égalité femmes-hommes au sein des collectivités et auprès de leurs parties prenantes.
Je suis bien entendu preneuse de toute bonne idée et bonne pratique dont vous auriez connaissance ou que vous auriez testé sur ce sujet de la commande publique pour pouvoir enrichir ma compréhension des enjeux. N’hésitez pas à me partager vos témoignages et retours d’expérience !
Sources :
1 Donnée Direction Générale de la Concurrence et de la Répression des Fraudes. Lien source ici
2 Etat 2020 de la commande publique. Lien source ici
3 Lien source ici