Par un décret publié au journal officiel le 15 mai 2020, les nouveaux élus et les nouvelles élues des collectivités territoriales entreront en fonction lundi 18 mai. Et entre le 23 et le 28 au plus tard, les conseils municipaux vont se tenir dans près de 30000 communes françaises pour donner l’investiture officielle aux listes élues à l’occasion du premier tour des élections, le 15 mars dernier.
Il faudra encore patienter un mois de plus pour les quelques 5000 autres communes où le deuxième tour doit se tenir fin juin.
Si les 2/3 des maires sortants se sont finalement représentés (alors que 49% d’entre eux déclaraient en 2018 ne pas vouloir partir pour un nouveau mandat), les équipes municipales autour des têtes de liste vont faire émerger de nouveaux visages, de nouvelles idées mais aussi, espérons-le, de nouvelles ambitions !
Alors évidemment, dans le contexte actuel, l’énergie des élu.es va se concentrer dans un premier temps sur l’organisation du retour à l’école et du temps d’accueil des enfants pour le mois de juin et la période estivale, et il faudra bien sûr pour un certain nombre d’élu.es prendre en main leur portefeuille de missions et se familiariser avec le fonctionnement des collectivités.
Mais cette nouvelle mandature qui démarre est aussi l’occasion de (re)mettre sur l’ouvrage des sujets oubliés jusqu’à présent ou hors du scope car jugés non prioritaire.
C’est le cas de l’égalité femmes-hommes dans les collectivités.
Pour les communes de plus de 20 000 habitants : des obligations légales fixent le cap
Cette barre symbolique des 20000 habitants pose une distinction, notamment en matière d’obligations légales.
Ainsi, l’article 61 de la loi du 4 août 2014 prévoit que toutes les collectivités (et EPCI) de plus de 20000 habitants doivent présenter, préalablement au Débat d’Orientation Budgétaire, un rapport de situation comparée des femmes et des hommes sur le territoire de la collectivité.
Ce rapport doit présenter un volet « interne » en détaillant la situation des agents et des agentes de la commune – on est sur le versant collectivité employeuse – mais également un volet « externe » sur l’impact des politiques publiques – c’est le versant « collectivité agissant pour le bien commun ».
Le Rapport de Situation Comparée (RSC) est un outil précieux. Il permet de questionner les rémunérations, les carrières des agent.es, la part de temps partiel subis et choisis ; il permet de regarder la ségrégation sexuée des métiers et le plafond de verre qui peut s’exercer au sein de la collectivité.
Des collectivités qui ont fait ce travail d’analyse, ont pu ensuite engager un travail de révision des éléments de rémunération, ont pu revaloriser certains postes, principalement occupés par des femmes, qui bénéficiaient de faibles rémunérations et de peu de possibilité d’évolution, même en carrière longue. Il est également possible de travailler à repenser certaines organisations pour limiter les temps de coupure des agent.es en temps partiel.
Mais pour agir, la première étape est de constater les écarts de situation. En cela, le RSC est un outil de transparence.
A cela, s’ajoute l’obligation récente de produire un plan d’action égalité Femmes-Hommes au plus tard pour le 31 décembre 2020. Cette nouvelle obligation est apparue dans le cadre de l’Accord relatif à l’égalité entre les femmes et les hommes dans la fonction publique, signé le 30 novembre 2018. Elle a été rendue légale par l’article 80 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.
Un référentiel a été établi et permet de fixer le cadre pour la concrétisation du plan d’action et il précise les 4 axes de travail obligatoires :
- la rémunération
- la promotion interne, les recrutements
- l’articulation des temps personnels et professionnels
- la lutte contre les violences morales, sexuelles et sexistes
Compte tenu du timing, il est déterminant que les nouveaux élus et les nouvelles élues se saisissent du sujet pour être dans les clous et se donner une feuille de route pour la durée du mandat.
Pour les communes de moins de 20 000 habitants : une démarche volontariste
Et pour les autres collectivités, c’est-à-dire l’immense majorité, quelles sont les obligations ? A vrai dire elles sont quasi inexistantes en matière d’égalité femmes-hommes mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire pour autant.
Tout d’abord, la fonction publique est aujourd’hui le premier employeur en France et à ce titre, les collectivités territoriales se doivent d’être exemplaires.
Par ailleurs, l’égalité Femmes-Hommes dans les collectivités est un levier de transparence et d’efficacité des politiques publiques. Les collectivités, même les plus petites doivent questionner l’utilisation de l’argent public et s’assurer d’un usage équitable à minima et égalitaire dans la mesure du possible.
Plusieurs outils sont à portée de main des nouveaux élu.es.
- Adopter les outils imposés aujourd’hui aux communes de plus de 20000 habitants.
Le législateur a fixé un cadre mais rien n’empêche une collectivité de s’engager dans la démarche, en s’appliquant des obligations aujourd’hui imposées à des collectivités de plus grande taille.
On l’a vu précédemment notamment sur la question du rapport de situation comparée, avoir des données objectives pour ce qui concerne les agent.es de la collectivité est un outil qui permet de travailler sur la mandature et de faire progresser l’égalité FH en interne
La commande publique : un levier puissant !
- L’éga-conditionnalité dans les marchés publics. Le Haut Conseil à l’Égalité a produit un document de travail très utile sur ce sujet. L’idée est d’utiliser la commande publique comme levier d’action pour les collectivités.
Pour rappel, « la dépense publique représente plus de 55% du PIB. Les financements publics ont donc un véritable poids économique, lui permettant d’impulser des évolutions économiques et sociales. Parmi celles-ci, se trouve l’exigence d’égalité réelle entre les femmes et les hommes ».
Aujourd’hui, la loi d’août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes interdit l’accès de tous les contrats publics aux entreprises qui ne respecteraient pas ses obligations en matière d’égalité FH et qui aurait fait l’objet d’une condamnation pour ce motif. Pour autant, il appartient à la collectivité de vérifier le respect de ces motifs d’exclusion.
Afin d’aller plus loin, le projet BUYDIS, mené conjointement par la ville de Nantes, Nantes Métropole et la ville de Lyon en 2016 suggère d’introduire des questionnaires dans les dossiers de consultations. Ces outils obligeraient les entreprises à détailler les actions engagées en matière d’égalité FH.
Il est possible par ailleurs d’introduire des clauses Égalité. De la même manière qu’on voit aujourd’hui se diffuser les clauses « insertion » (qui visent à accompagner le retour à l’emploi ou l’entrée dans le monde professionnel pour des personnes qui en sont éloignées). L’idée est de conditionner l’attribution d’un certain nombre de points sur des engagements des entreprises pendant la durée du marché.
Bien entendu, cela ne fonctionne que si les engagements des entreprises sont effectivement contrôlés.
Pour rendre visibles les inégalités, il faut des chiffres !
- La mise en place de collecte de données sexuées pour pouvoir établir des études chiffrées et documentées et avoir des données fiables. C’est un préalable indispensable pour aller plus loin ensuite en matière de budget intégrant l’égalité.
Il est donc nécessaire que chaque collectivité fixe ses orientations politiques et définisse les sujets qu’elle souhaite traiter avec des lunettes de genre. Ensuite, il sera possible de fixer des indicateurs et ainsi déployer une collecte de données sexuées.
On aborde ici la question de la Budgétisation Sensible au Genre (BSG), outil utilisé par nos voisins autrichiens ou belges mais malheureusement encore trop peu pratiqué en France.
Le centre Hubertine Auclert, dans son guide pratique dédié à la BSG rappelle : « La budgétisation sensible au genre vise à intégrer la perspective de genre dans tout le cycle budgétaire pour analyser l’impact différencié des dépenses et des recettes des budgets publics sur les femmes et les hommes ».
Isabelle Gueguen (cabinet Perfégal), préconise de démarrer l’application de la BSG sur un périmètre « simple » à priori : celui des subventions aux associations sportives. En effet, c’est souvent l’un des domaines sur lequel il est possible d’accéder à des données genrées (collectées par les associations).
On peut alors observer de quelle manière est réparti l’enveloppe de subvention. Et souvent, les (mauvaises) surprises sont au rendez-vous ! Ainsi, en illustration, on peut citer l’exemple d’une commune de Haute Garonne où :
- Les hommes représentent 60% des licenciés
- Mais bénéficient de 73% des subventions
- La municipalité accorde ainsi 22,7€ par homme adhérent à une association sportive contre 12,9€ par femme
Cet exemple illustre à lui seul les possibilités offertes par la budgétisation sensible au genre.
Il n’est pas question ici d’augmenter l’enveloppe de subvention, mais bien de revoir les critères d’attribution pour garantir une répartition plus juste de l’argent public et garantir qu’il profite à tous et toutes de manière équitable.
Nommer, c’est rendre visible.
- L’utilisation de l’écriture inclusive pour rendre visibles les élues, les habitantes, les citoyennes, etc. dans les communications internes et externes de la collectivité.
Il est important de rappeler ici que l’écriture inclusive ne se résume pas au point médian qui souvent cristallise tous les agacements. L’écriture inclusive, c’est avant tout la volonté de rendre visible les 52% de la population trop souvent occultés des communications et des discours.
La collectivité se doit de parler à tous et toutes et elle doit s’adresser à l’ensemble de sa population. Cela passe par des choix justes en matière d’utilisation de visuels, de choix de mots et en termes d’attribution de temps de tribunes.
S’engager dans une charte peut parfois faire peur, cela peut sembler lourd et fastidieux. Mais la Charte Européenne est un outil intéressant pour toutes les communes, quelque soit leur taille. Elle donne le temps du diagnostic et des échanges avant de formaliser un plan d’action (il doit intervenir 2 ans au plus tard après la signature).
Signer la Charte, c’est aussi l’opportunité d’intégrer un réseau de collectivités et ainsi de bénéficier des bonnes pratiques des autres, d’enrichir ses propres dispositifs.
Bien entendu, les champs couverts par la Charte sont nombreux mais chaque collectivité reste libre de fixer ses propres priorités été d’avancer à son rythme.
L’intérêt de la démarche étant qu’un retour en arrière est souvent difficile une fois que l’on est engagé dans cette voie et l’appartenance à un groupe joue à la fois un effet fédérateur et d’émulation.
Cette liste d’outils n’est pas exhaustive. Chaque équipe municipale est en mesure d’innover en la matière.
Mais ce qui est déterminant c’est qu’un maximum d’équipes se saisissent de ces outils qui sont à la fois des leviers de transparence et mais aussi d’efficacité. En effet, ils obligent à observer, analyser l’impact des politiques publiques sur les femmes et les hommes de la commune.
Le chantier est immense. Mais chaque changement d’équipe est l’occasion de revoir les méthodes de travail et de repenser les orientations. Alors gageons que cette nouvelle mandature marquera un tournant dans l’appropriation de l’égalité FH par les collectivités, quelle que soit leur taille.
Sources:
- Article Les Echos – 2018 https://www.lesechos.fr/politique-societe/regions/municipales-2020-la-moitie-des-maires-envisage-de-ne-pas-se-representer-147776
- Activer l’éga-conditionnalité ou le conditionnement des financements publics à l’égalité femmes-hommes, HCE, Sarah GRESSET sous la direction de Romain SABATHIER, Juillet 2016
- La budgétisation sensible au genre – Guide Pratique, Centre Hubertine Auclert, Août 2015
- Ibid
- La Charte Européenne pour l’égalité des femmes et des hommes dans la vie locale http://www.afccre.org/mailing/Charte-%C3%A9galit%C3%A9-FR.pdf