Quand on s’intéresse aux questions de mixité professionnelle on trouve généralement des ressources qui vont évoquer la féminisation de secteurs à prédominance masculine. On trouve en revanche assez peu de ressources qui concernent le fait d’attirer des hommes dans les métiers féminins.
C’est l’objet du livre « Se distinguer des femmes, sociologie des hommes en formation « féminines » de l’enseignement supérieur » de Alice OLIVIER, aux éditions La Documentation française. Le livre fait suite à la thèse de l’autrice, menée auprès des filières de sage-femmes et d’assistant·e social·e. J’ai trouvé cet ouvrage très éclairant. Je vous partage dans cet article les points qui m’ont marqué.
Définir les formations « féminines »
L’autrice redéfinit ce qu’on peut qualifier de formation féminine en y apportant des chiffres et assume cet intitulé.
Elle écrit : » Je considère plus précisément que des formations sont « féminines » ou « masculines » quand elles remplissent 4 critères cumulatifs: être très largement féminisées ou masculinisées; avoir historiquement émergé comme formations « pour les femmes » ou « pour les hommes »; présenter des caractéristiques techniques et symboliques renvoyant à des pratiques, positions et rôles associés aux femmes ou aux hommes; valoriser des dispositions fortement attribuées aux femmes ou aux hommes ».
Les 2 filières étudiées dans le livre répondent à ces 4 critères cumulatifs. On peut préciser ici qu’en 2020, les hommes représentaient environ 3% des personnes inscrites en première année d’études de sage-femme. En 2020 toujours, ils représentaient 7.5% des étudiant·es assistant·e de service social.
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S’orienter vers des formations féminines
L’étude menée porte notamment sur les modes d’intégration dans les filières féminines. Elle présente deux contextes différents en fonction des filières étudiées.
Le premier modèle concerne les métiers de sage-femme. L’orientation s’y fait « sous contrainte ». En effet, pour les garçons du groupe étudié, l’orientation dans la filière de sage-femme est une orientation « par défaut ». En effet, leur choix premier étant d’aller vers médecine. Pour autant, ces jeunes hommes choisissent délibérément la filière sage-femme. Ils la considèrent comme plus en lien avec les questions de soins que par exemple la filière dentaire perçue pour certains comme trop commerciale.
Pour les hommes dans la filière d’assistant social, les modalités d’orientation vers cette filière varient plus. Elles peuvent être liées à des rencontres déterminantes avec des professionnel·les, elles peuvent être liées à des réorientations après un premier cursus parfois décevant ou non porteur.
Dans tous les cas, l’autrice montre que les enseignant·es et responsables des formations n’hésitent pas à mettre les hommes en avant. C’est le cas lors des présentations métiers, sur les outils de communication pour clarifier le fait que la formation est « aussi » faite pour les hommes.
Portrait robot ?
La chercheuse mène ensuite une analyse approfondie des profils des personnes enquêtées. Elle réussit à en faire émerger 4 profils distincts qui vont permettre de caractériser à la fois les motivations de ces garçons à intégrer des formations féminines mais qui vont aussi définir dans une certaine mesure leur posture et la manière de réaliser leur cursus.
L’hypothèse initiale est que les garçons qui choisissent ces filières féminines auraient bénéficié d’une socialisation genrée « au féminin » et auraient une appétence particulière pour les activités perçues comme féminines dans la société. Il n’en est en réalité rien ou du moins il s’agit de nuancer cette hypothèse. L’autrice démontre que les quatre profils qui se distinguent sont en réalité plutôt au croisement de la classe sociale, de la socialisation de genre et de dispositions au care. Ceci explique les choix d’orientation mais également la posture adoptée pendant le cursus en tant qu’homme dans un monde de femmes.
Être un homme en formation féminine : malus ou bonus ?
L’autrice montre également qu’être un homme est un avantage dans ces univers. Elle observe une forme d’indulgence ou une survalorisation de certaines aptitudes au care (soin) non attendues chez les hommes. En comparaison, elle observe un jugement plus sévère des filles pour lesquelles les attentes d’aptitude au care sont bien plus élevées. La chercheuse démontre qu’une sorte de double standard s’instaure. Un peu comme quand un homme qui partirait tôt du travail pour aller s’occuper de ses enfants est perçu comme un super papa alors que quand c’est une mère qui le fait, c’est juste « normal » et donc pas valorisé.
Ainsi les hommes bénéficieraient de leur statut d’hommes y compris dans ces filières dans lesquelles ils sont sous représentés.
Être un homme c’est aussi avoir plus de chance d’être recruté au terme de la formation. En effet, les services ou structures qui emploient une grande majorité des femmes sont à la recherche de diversité. Aussi, les profils masculins les intéressent tout particulièrement. Plusieurs enquêtés racontent qu’ils ont d’ores et déjà une proposition de contrat avant même d’avoir validé leur formation.
De même, pour les hommes sage-femme, l’autrice perçoit une différence de traitement au moment des passerelles permettant de se réorienter vers la filière médecine. Ainsi les jurys considérant que les hommes seraient en formation sage-femme « par défaut ». Ils vont donc parfois pousser plus facilement les dossiers des garçons vers la passerelle pour un retour en médecine perçu comme normal et comme étant la juste place des garçons.
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Sur représentation des hommes dans les rôles de pouvoir
Enfin la chercheuse démontre que les hommes bénéficient dans ces filières féminines de nombreux avantages. Ils vont notamment réussir bien plus que les femmes à occuper des positions de pouvoir ou de représentation. C’est le cas dans les instances représentatives des étudiant·es des filières féminines. C’est le cas aussi à l’intérieur même de la formation. La chercheuse observe que les garçons sont plus régulièrement les leaders de groupe, ceux qui restituent, qui sont désignés comme délégué. Ainsi, leur sous-représentation dans la formation va de fait jouer un rôle de mise en lumière accrue qui va leur donner accès à des positions de pouvoir.
Ceci pourra se perpétuer aussi tout au long de la carrière les hommes. Les étudiants enquêtés ont pour la plupart en tête qu’ils pourront plus facilement devenir chef de service et ainsi bénéficier de ce que l’on nomme « l’escalator de verre ».
Je vous recommande donc vivement la lecture de cet ouvrage. Il montre à quel point, comme l’indique Françoise Vouillot, « l’orientation reste un butoir de la mixité ». Il livre néanmoins des pistes pour comprendre comment attirer des hommes dans les métiers et filières féminines.
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